Conférence sur la question de la crise de la démocratie du point de vue chrétien

Conférence de Pierre Colombani

Introduction

On parle de plus en plus de crise de la démocratie depuis les débuts de ce XXIème siècle. De fait, il semble en effet que le modèle démocratique ne fasse plus rêver comme par le passé, après la deuxième guerre mondiale notamment, et soit regardé comme très connecté à la culture occidentale et perçu dès lors dans ce seul prisme, comme le rappel des anciens colonialismes. Cela entraîne inévitablement alors des contestations, des critiques et des remises en cause qui vont jusqu’à revenir sur des droits acquis fondamentaux.
Dès lors se pose la question : la crise actuelle de la démocratie est-elle le fait de sa remise en cause par des régimes autocrates de plus en plus nombreux, ou bien y-a-t-il une crise inhérente au principe de démocratie ?
Par ailleurs, nous parlons parfois de régimes autocrates, parfois de régimes totalitaires, parfois de sociétés illibérales ? Comment qualifier ces régimes qui se placent en concurrence avec nos sociétés dites démocratiques, lesquelles sont elle- mêmes bousculées en leur sein propre, par des mouvements populistes de plus en plus nombreux et qui revendiquent la promotion de régimes plus radicaux ?
Et face à tous ces mouvements, comment situer alors la Parole du Christ dans les Évangiles à laquelle nous nous référons en tant que chrétiens ?
Le christianisme a-t-il des liens particuliers avec les valeurs démocratiques et dans ce cas, que dire aujourd’hui, du point de vue de l’éthique chrétienne, du débat qui confronte les valeurs démocratiques à celles prônées par les tenants des régimes autoritaires ?

1- La montée des anocraties dans le monde

Il y a 35 ans en arrière, avec en particulier la chute du mur de Berlin, après l’automne de 1989, le triomphe de la démocratie semblait réellement indiscutable…

Aujourd’hui, le discours euphorique de l’époque est devenu plutôt obsolète. La démocratie n’a pas tenu toutes ses promesses. Les interventions en Afghanistan ou en Irak après le 11 septembre 2001 ont révélé une instrumentalisation de la démocratie, afin de satisfaire des intérêts impérialistes peu avouables. Et le centre du monde semble se déporter insensiblement vers des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, la Turquie, dont l’influence grandissante auprès d’une partie de l’Afrique et de l’Amérique latine ne favorise en rien la démocratisation du monde. C’est ce que l’on
qualifie désormais de Sud Global…
Plus grave encore, à l’intérieur de la société occidentale, la démocratie est minée par la montée des extrêmes, ou encore par le manque de confiance des citoyens vis-à-vis de leurs classes politiques, et de l’impuissance politique… Quel mal ronge donc la démocratie ? Faut-il prendre acte d’une crise de la démocratie, en ne l’envisageant que sous l’angle d’une réalité d’un monde occidental lui-même considéré comme décadent ?
Par simplification, il est souvent d’usage d’opposer au concept de démocratie celui d’autocratie ou de dictature. Or, si l’on reprend la définition de l’autocratie, il s’agit d’un régime politique dans lequel le dirigeant tire son pouvoir et sa légitimité de lui-même. Son autorité ne connaît aucun contre-pouvoir. En cela, l’autocratie est une forme de totalitarisme découlant d’un pouvoir personnel et absolu. Cependant, une autocratie, ou si l’on préfère, une non-démocratie, peut cacher différents types d’organisation politique et de mainmise sur le pouvoir. A ce titre, en m’appuyant sur
les travaux d’Isabelle Mandraud et de Julien Théron (Le Pacte des autocrates) et de ceux d’Enzo Di Nuoscio (Pourquoi les Humanités sauveront la Démocratie), je distinguerai trois types d’autocratie.
* Le premier type d’autocratie correspond à un régime militaire.
La volonté de ses dirigeants est alors de maximiser les intérêts de l’armée, ainsi que son unité et sa stabilité. La prise du pouvoir par l’armée intervient souvent dès lors que ses intérêts privilégiés sont remis en cause. Contrairement aux autres formes d’autocratie, un régime militaire donne exclusivement le pouvoir à l’armée. On peut penser en exemple à ce qui se passe en Algérie depuis son indépendance, et particulièrement depuis les années 90, avec l’éradication du GIA et des revendications islamiques qui en découlaient, à l’époque.
* Ensuite, le deuxième type d’autocratie concerne les régimes dits personnalistes.
Ils dépendent souvent d’une faction ou d’un homme, d’où la menace perpétuelle d’une remise en cause du régime par d’autres factions. Les dirigeants n’ont alors pas d’autre choix que d’éliminer leurs rivaux, dans une perspective machiavélienne, cause principale de remous majeurs une fois les anciens dirigeants destitués. En effet, un régime personnaliste est souvent destitué par la violence et toujours suivi par un autre régime tout aussi autoritaire. Ainsi, la survie d’un tel type de régime à la mort de son dirigeant est très faible. La Libye post-Kadhafi en est un parfait exemple.
* Enfin, un troisième type d’autocratie est celui du régime à parti unique.
Celui-ci s’inscrit dans une logique d’absolu idéologique, car l’avenir du pays dépend essentiellement de la bonne tenue du parti unique. Contrairement aux deux précédents régimes, la légitimité politique provient essentiellement des performances du parti au pouvoir, mais aussi de sa capacité d’étouffement de toute forme de contestation. Pour des exemples concrets, on pense immédiatement à la Chine et, par certains aspects aussi, malgré l’apparence de démocratie, à l’Inde ou à la Turquie, car s’il existe dans ces pays d’autres partis et même s’il s’y déroule des élections, tout ceci est souvent très aléatoire du fait que les partis d’opposition sont très surveillés et les élections sont malheureusement souvent truquées !
Dans cette troisième catégorie du parti unique, on pourrait aussi y intégrer les partis de type religieux comme en Iran, ou en Afghanistan.
Dès lors, en réalité, les trois aspects que je viens d’évoquer ne sont pas nécessairement à différencier les uns des autres de façon absolue, on peut les retrouver de manière mélangée, et parfois même, sous des apparences de démocratie.
Je parlai de l’Inde, ou de la Turquie, on pourrait encore s’interroger aujourd’hui sur les États-Unis, où les élections deviennent, ces derniers temps, sujettes à caution et à soupçon, avec des fake-news propagées sur les réseaux sociaux, ou encore de par leur mode de nomination à vie, des neuf juges de la Cours Suprême, selon le bon vouloir de chaque président, dès que l’un des membres de cette cour Suprême vient à décéder, avec à la clé des remises en cause des orientations politiques fondamentales. (On l’a malheureusement constaté sous la présidence de Donald Trump… le quel
réapparaît plus fort que jamais).
Et même dans des pays démocratiques tels que l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, le Portugal, ou l’Angleterre, la montée des extrêmes, autant à gauche qu’à droite, laisse présager des risques de remise en cause de la démocratie.
C’est pourquoi, plutôt que de me fixer uniquement sur les autocraties, je préfère évoquer les anocraties (Du grec ancien ἀν-, an-, privatif, et du grec ancien κράτος, kratos, « pouvoir » que l’on peut traduire par Régime politique qui n’est ni pleinement démocratique ni pleinement autocratique) et qui, selon moi, englobent tout un mouvement d’ensemble, qu’il s’agisse des totalitarismes les plus classiques, tels que nous venons de les définir, mais aussi des tendances actuelles, dans nos propres sociétés, avec des remises en cause des démocraties dans leur fonctionnement représentatif, par des démagogues, qui leur opposent la loi dite du peuple.

2- Les valeurs véhiculées par les anocraties

Il est incontestable qu’actuellement, les systèmes autoritaires de toutes les régions du monde semblent de plus en plus travailler ensemble, afin de consolider leur pouvoir et accélérer leurs attaques contre la démocratie et les droits de l’homme. C’est d’ailleurs le sens de ce qui se passe sous le vocable de Sud Global ! Les droits politiques et les libertés civiles ont décliné dans le monde entier, au cours de ces 15 dernières années, ce qui laisse entrevoir la possibilité que l’anocratie pourrait peu à peu supplanter la démocratie, en tant que modèle de gouvernance guidant les normes internationales de comportement.
Rappelons-nous, à cet effet, le qualificatif d’« illibéral », que Viktor Orban, le premier ministre nationaliste hongrois, a fièrement revendiqué lors d’un discours en Suisse en 2014.
Parmi les leaders populistes européens, il a été le premier à oser l’emploi de ce concept, même si ce type de régime était déjà une réalité depuis des années dans certains pays de l’Europe centrale et orientale, qui se trouvent aux lisières de l’Union européenne, au contact avec la Russie de Vladimir Poutine ou encore, avec la Turquie de Erdogan.
De fait, ces régimes anocratiques ont en commun de se présenter comme une réponse nationale, anti-universaliste, virile et guerrière, face aux systèmes démocratiques qualifiés de “cosmopolites”, d’“efféminés” et de “corrompus” ».
Et même si la population de certains de ces pays anocratiques peut parfois voter, l’équilibre des pouvoirs et l’Etat de droit n’existent pas ou n’existent plus. Ces régimes anocratiques ont ainsi en commun de se penser comme « des réponses nationales et radicales face à la démocratie libérale, coupable — selon eux —, d’avoir détruit la nation comme entité organique.
De ce point de vue, une comparaison entre la Chine, la Russie, la Turquie, ou l’Iran, est tout à fait éclairante. Les différences y sont évidentes, mais les points communs le sont tout autant !
En effet, géographiquement limitrophes, la Russie, la Chine, la Turquie et l’Iran ont ont connu, sous des formes très différentes, des modernisations autoritaires au cours des dernières décennies.
Et ces régimes ont en commun, aujourd’hui, une volonté de revanche vis-à-vis de l’Occident, et de retrouver leur rang dans l’histoire. La Chine, la Russie, comme la Turquie, ont notamment la nostalgie de leurs empires passés, rêvant de reconstituer leur zone d’influence. (Pensons par exemple à la route de la soie que cherche d’une certaine manière à reconstituer la Chine de ce XXIème siècle).
Par ailleurs, les régimes autoritaires en Chine, en Russie et ailleurs, ont acquis plus de pouvoir dans le système international, et les pays plus libres ont vu leurs normes démocratiques établies, remises en question et fracturées.
La prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, par exemple, a mis fin à de fragiles expériences de régime civil et a entraîné le piétinement du fonctionnement des libertés les plus élémentaires, surtout pour les femmes, dans leurs déplacements, leur mode vie, comme dans leur droit à l’éducation et cela avec la bénédiction plus ou moins avoués de ces grands pays anocratiques. Au total, ce sont près de 60 pays qui ont subi une baisse inquiétante des droits politiques et des libertés civiles au cours des années 2022/23. À ce jour de 2024, quelques 38 % de la population mondiale vit dans des pays classés comme non libres.
Seules deux personnes sur 10, dans le monde d’aujourd’hui, vivent dans des pays caractérisés de libres.
Une grande partie du monde vit entre les deux, dans des régimes apparemment libres, mais dont la réalité reste très discutable. D’où ce concept d’anocratie qui me semble pertinent pour décrire l’évolution funeste du monde.
De sorte que la démocratie est en réel danger un peu partout dans le monde. Cela induit comme principales conséquences que les dirigeants autoritaires collaborent de plus en plus entre eux pour répandre de nouvelles formes de répression et repousser
les expériences démocratiques.
Dès lors, plutôt que d’en rester à ces constats de recul de la démocratie dans une grande partie du monde, nous devons impérativement nous interroger sur le sens de l’effondrement de la démocratie ?

3- La démocratie rongée par une crise anthropologique

Si l’on retient à ce sujet la thèse de Marcel Gauchet, historien, sociologue et philosophe (déjà énoncée dès 1985 dans son ouvrage majeur : « Le désenchantement du monde »), mais que l’on retrouve depuis lors dans plusieurs de ses articles et dans son dernier ouvrage paru en octobre dernier : « Le noeud démocratique », les démocraties connaitraient aujourd’hui, selon lui, pour la deuxième fois de leur histoire, une crise de croissance.
La première crise avait eu lieu après la Première Guerre mondiale. Le suffrage universel voyait se mettre en place des régimes parlementaires de plus en plus nombreux, mais les sociétés étaient déchirée par l’antagonisme entre les classes sociales. La conséquence de cette crise est bien connue : ce fut l’avènement des totalitarismes dans les années 1930, avec la montée du communisme, du fascisme et du nazisme. Mais après 1945, les démocraties libérales, en menant des réformes profondes tant politiques, administratives que sociales, étaient parvenues à surmonter cette 1ère crise.
Or, malgré des similitudes avec cette période des années 1930, la nouvelle crise que les démocraties connaissent aujourd’hui résulte surtout de l’approfondissement du libéralisme, qui s’exprime par un individualisme de masse et donc par le triomphe des droits de l’individu.
Désormais, selon Marcel Gauchet, la souveraineté de l’individu a supplanté la souveraineté du peuple. Il y a une sorte d’« autodestruction douce » de la démocratie.
La démocratie a ainsi fait passer au premier plan l’exercice des droits individuels, jusqu’au point de confondre l’idée de démocratie avec celle des droits exclusifs de l’individu et l’idée de démocratie a fait alors oublier l’exigence de maîtrise collective qu’elle devrait aussi susciter.
Finalement, cette nouvelle crise de la démocratie correspond à une accélération du processus de sortie des grandes idéologies de la religion. Sortie de l’idéologie de la religion avec l’effondrement du christianisme, mais aussi, sortie de l’idéologie de la religion profane avec l’effondrement du communisme. Cette thèse de Marcel Gauchet fait aussi écho avec ce que ne cesse de ressasser le philosophe Luc Ferry dans ses différentes interventions.
Si l’on retient cette thèse, il y a bien, en effet, un réel problème avec l’individualisme qui se confond avec l’idée de démocratie. Car, pour le dire autrement, la démocratie ne devrait pas, en principe, se passer de l’idée de Bien commun.
Or, l’affirmation du Bien commun revient à limiter les droits de l’individu que l’on confond allègrement avec les droits de l’homme. De sorte que nous assistons, dans nos sociétés démocratiques d’Occident, à une sorte d’effondrement de tout ce qui touche au collectif par la revendication des droits individuels de plus en plus prégnants.
On peut alors parler à juste titre d’un totalitarisme de l’individu qui place son droit au-dessus de toute notion d’appartenance à un corps collectif. Cette revendication de l’individu débouche malheureusement parfois sur une société de violence, où le droit de chacun devient une revendication exclusive et une remise en cause d’un ordre sociétal lequel se trouve de plus en plus fracturé.
De ce point de vue, la thèse de Gauchet est pertinente. En revanche, lorsqu’il l’explique, comme le fait Luc Ferry de son côté, par la sortie de la religion, entendons la religion révélée du christianisme ou de la religion profane du communisme, que dire alors du retour de la religion de masse au travers de l’Islam, qui s’affirme fortement dans plusieurs pays se réclamant de cette confession, mais aussi dans nos propres pays démocratiques plus ou moins laïques, dont les traditions sont plutôt chrétiennes ?
Il me semble que la crise de la démocratie n’est donc pas liée à la sortie de la religion en tant que telle, comme système de croyances, mais bien plus au triomphe de l’individu et à l’effondrement des présupposés anthropologiques du personnalisme qui étaient à la base de la démocratie, et qui étaient les racines philosophiques propagées par le christianisme, lesquelles allaient alors au-delà du christianisme qui a lui-même puisé dans les valeurs de la Grèce antique. Ce sont ces valeurs-là qui sont remises en cause. Celle de la liberté qui est fondamentale, celle de l’égalité qui l’est tout autant, celle du droit à la vie, du droit à la dignité, du droit au respect de la différence, différence d’opinion, différence de croyance… etc.
C’est ici que l’ouvrage de Di Nuoscio sur les Humanités qui sauveront la Démocratie s’avère extrêmement intéressant. En effet, il montre comment tout le mouvement qui a accompagné le capitalisme, et parallèlement le libéralisme, a été lié à une anthropologie de l’individu sous-tendue par la vision protestante de la notion du libre arbitre dans la détermination de la vérité.
Cette vision a toujours été contrebalancée depuis le 16ème siècle par un christianisme catholique, mettant plus en avant la notion de Magistère et donc celle d’une définition de la vérité à partir de l’affirmation d’un corps collectif déterminant les pré-requis de la vérité.
On pourrait citer en exemple, à cet effet, le capitalisme rhénan qui a été pendant plusieurs années une sorte de compromis entre ces deux approches anthropologiques.
L’importance de l’individu dans son être en tant que soi, et l’importance de la personne, en tant qu’appartenant à un corps sociétal. (On pourrait citer ici, le livre si fameux de Michel Albert « Capitalisme contre Capitalisme »).
Dès lors, on peut dire que la démocratie s’est construite sur ces deux jambes (droits de l’individu et droits collectifs évoqués à travers les corps intermédiaires) tout en sortant de la religion, en déconfessionnalisant, par la sécularisation, ces deux conceptions de l’approche de la vérité.
Certes (et là on rejoint Marcel Gauchet) l’effondrement de la culture véhiculée par le christianisme, catholique romain ou protestant, a conduit à vider de son sens tout ce que l’on a pu élaborer en termes de droits. Car, sans l’évocation d’une transcendance, l’individu s’est alors pensé sans lien avec le Bien commun, d’où un égoïsme effréné de l’individu au détriment du collectif, puisque la société étant sécularisée, sa définition des droits de l’homme n’est qu’une affirmation totalitaire de l’individu. Or, comment honorer la liberté de chaque personne si cette liberté n’est pas respectée
dans les droits fondamentaux de l’ensemble des peuples ?
C’est pourquoi, la démocratie est entrée dans une crise dans ses racines anthropologiques. Elle est devenue plus une société libérale de l’individu qu’une communauté en quête du Bien Commun. Mais ce n’est pas la sortie de la religion qui a suscité cela, c’est davantage la promotion de l’individu, désormais pensé comme un homo économicus !
Les effets, nous ne pouvons que les constater au travers, par exemple, de la question si dramatique de l’écologie. Le Bien commun aurait voulu que nos sociétés démocratiques pensent la temporalité en fonction des générations futures et de ce que nous leur lèguerons. Au lieu de quoi, la temporalité à courte vue, en termes d’immédiateté, a d’abord valorisé l’intérêt individuel immédiat de chacun, en délaissant le Bien commun à venir.
Mais, le comble, c’est que les sociétés anocratiques qui se profilent au travers de l’Inde, de la Chine, du Brésil, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud, tout en contestant les valeurs de l’Occident, se bâtissent sur ce même registre anthropologique de l’individu. Certes, leurs déclinaisons se font dans des cadres de non respects des droits de l’individu, mais le capitalisme auquel ces pays se réfèrent, pour développer économiquement leurs propres sociétés, relève pourtant bien de cette vision de l’individu.
Sans doute, au seul profit de quelques individus appartenant à des élites privilégiées, et pour aussi manipuler la masse du reste des individus réduite en termes d’homo/économicus, mais les fondements restent pourtant les mêmes !
C’est en cela que la crise de la démocratie n’est pas, selon moi, seulement le fruit de la sortie de la religion en tant que système de croyances, mais semble beaucoup plus liée à la perte de la culture du christianisme, en tant que vecteur de valeurs qui appartenaient à tout le patrimoine de l’Europe et dont le christianisme a récupéré un certain nombre de ces principes pour en faire sa propre doctrine au travers de la liberté, de l’émancipation des êtres, et des droit fondamentaux de la personne humaine dans la perspective d’une transcende.
Le débat qui s’est fait jour sur le statut de la vérité dans l’horizon de la crise de la Réforme protestante, au 16ème siècle, est, en réalité, la question essentielle qui posait l’exigence d’un individu qui doit se penser par lui-même en termes de liberté, d’émancipation, du droit au bonheur, ce que le Protestantisme a heureusement propagé, mais qui doit aussi demeurer dans une dialectique avec un corps sociétal, émaillé de corps intermédiaires, ce que le catholicisme social a voulu rappeler, mais de façon dévoyée pour ne chercher qu’à appuyer l’autorité de son Église.
Au-delà d’un débat ecclésiologique, la vraie question est bien celle d’un libre arbitre dont chaque individu doit être le sujet, mais dans un souci d’harmonie avec le Bien commun, d’où l’importance de ne pas édulcorer le rapport à un transcendant qui appelle une responsabilité.
Or, nous ne pouvons que le constater : la déclinaison actuelle des droits de l’homme devient un catalogue de revendications d’individus, ce qui promeut des communautarismes de toutes sortes. Droits des homosexuels, droits des femmes, droits des gens de couleur, droits des trans/genres, droits des étrangers, et la liste ne fait que s’allonger… Face à cela, les sociétés anocratiques parlent alors de décadence à propos de l’Occident, en dénonçant nos sociétés comme féminisées, homosexuelles, en les méprisant comme faibles et revendiquent, de la sorte, l’idéal de la nation. Ce sont
d’ailleurs là les mêmes arguments qui sont repris par tous les extrémistes dans nos pays démocratiques, qui se présentent comme des nationalistes, de droite comme de gauche.
Mais le nationalisme ne peut régler l’épineuse question de l’articulation à maîtriser entre le libre arbitre de l’individu, et l’intérêt général à rechercher dans le Bien Commun, pour faire valoir le principe de liberté, celui de l’émancipation des personnes et des peuples qui résument ce que l’on pourrait qualifier de droits fondamentaux ! La personne comme sujet doit demeurer au coeur de la vie démocratique, ce qui induit simultanément la question du collectif au travers du Bien commun, autrement dit, se trouve ainsi posée la dialectique des droits et des devoirs qui incombent à chacun et qui constituent une communauté de destin partagé.
Face à cela que peut alors nous apporter le christianisme dans ses fondements ?

4- Le défi démocratique : une question pour le christianisme

En effet, si l’on met en parallèle la visée de la démocratie avec celle du christianisme on remarque que, d’un côté, la démocratie ne vise pas la promotion d’une société parfaite mais elle cherche à réduire les misères et à rendre les personnes responsables, et de l’autre côté, la théologie chrétienne n’est pas, elle non plus, fondée sur le mythe d’une perfection à atteindre.
Car la perspective de la résurrection du Christ intègre la réalité de la souffrance et de la mort, autrement dit la question de la finitude. Par conséquent, on ne se situe pas dans l’horizon d’un monde illusoire de perfection à promouvoir, mais on prend acte de l’incomplétude, de l’inaccompli du réel, ce qui rejoint le mythe de la création qui n’est pas un absolu, ou un achèvement : la création reste inachevée, avec le mythe de
la désobéissance de l’homme ayant mangé le fruit interdit, afin d’arracher la connaissance du bien et du mal. La théologie chrétienne présentant ce mythe de l’inachèvement de la création n’a donc pas pour but de chercher une perfection, mais d’avancer peu à peu vers un meilleur accomplissement, en éclairant la conscience du croyant et en lui ouvrant la possibilité de se déifier, au travers de la pratique de la vertu théologale de l’Amour.
De ce point de vue, le parallèle à faire entre la visée de la démocratie et celle de la théologie chrétienne se trouve comme résumé dans ce que l’on nomme les béatitudes.
Notamment dans l’Évangile de Mt 5, 3-12
Or, si l’on se rappelle que, selon la proposition de l’exégète Chouraqui, ce vocable d’Heureux, évoqué dans les Béatitudes, à partir de l’Araméen, peut se traduire par « en marche », on comprend dès lors, qu’il ne s’agit pas d’entrer, pour la théologie chrétienne, dans une béatitude passive, de type contemplatif. Il est bien plus question d’agir, de travailler, pour passer d’un ordre ancien à un ordre nouveau.
De sorte que l’ordre ancien dit en creux le sens de l’ordre nouveau, notamment dans l’accomplissement qui n’est pas un état mais un chemin, une marche, marche vers la pauvreté (entendons le renoncement à l’illusion de la toute puissance), une marche vers la douceur pour partager la terre, une marche vers la bienveillance, pour éviter la haine, une marche vers le désir de justice, pour viser la rectitude, une marche vers le pardon, pour œuvrer à une société de réconciliation, une marche vers la transparence dans les relations (la fameuse pureté), une marche vers la paix qui promeut la justice pour laquelle il s’agit d’en devenir des acteurs (les persécutés).
Tous ces aspects ne sont donc pas à entendre comme des vœux pieux d’un ordre religieux, ce sont les harmoniques d’une dynamique d’un cheminement qui doit mettre les êtres en résilience, selon l’expression de Boris Cyrulnik, c’est-à-dire, en une capacité de rebondissements exponentiels, ce que suppose le mystère pascal de la mort/résurrection au cœur de la foi chrétienne.
Ainsi, l’anthropologie que décline le christianisme dans sa théologie, déploie une vision de l’homme qui rejoint en partie celle de la démocratie, mais basée davantage sur la notion de responsabilité.
Cela n’est pas sans nous rappeler les orientations philosophiques d’Emmanuel Lévinas, (notamment dans son ouvrage majeur Totalité et Infini), lorsqu’il parle de l’événement de l’épiphanie du visage d’autrui qui met en relation de responsabilité, où l’expérience de l’altérité de l’autre me fait obligation, il interroge ma conscience.
Ainsi, on comprend que le christianisme parlant de l’Homme Nouveau, évoque l’être dans sa capacité à la relation, pour trouver sa propre identité et sa vocation à la responsabilité vis-à-vis d’autrui. C’est toute la déclinaison du rapport entre la singularité intrinsèque de la personne et son ordination au Bien Commun dont il est ainsi question, déclinaison induite par le lien de fraternité que suppose l’appartenance au même Père et qui appelle donc à la responsabilité des uns à l’égard des autres.
Pour le chrétien, parler de démocratie, cela n’équivaut donc pas à parler d’un rapport de force entre une majorité et une minorité, ni affirmer des droits individuels qui isoleraient l’individu dans ses revendications devenant totalitaires et totalisantes par l’exclusivité de l’ego qu’elles pourraient supposer !
C’est davantage travailler sur l’expérience d’un chemin, où s’articule la responsabilité de chacun avec l’exigence du Bien de tous. C’est dire que chaque personne est unique pour signifier le Tout du collectif. Cela veut dire aussi que si le collectif demeure la visée ultime, il n’est pas un tout qui dilue de façon indéterminée chaque singularité. L’altérité est au cœur du principe de l’Homme Nouveau en Christ, du fait que la personne doit toujours mourir à ses a priori, pour ressusciter dans l’expérience de la rencontre avec l’autreté de l’autre, la fameuse altérité.
De ce point de vue, l’anthropologie chrétienne se fonde autour de la Croix du Christ.
C’est une mort à une attente, une mort à l’être totalitaire, pour vivre l’être de communion. Cela n’est pas sans nous rappeler tout ce que Emmanuel Mounier a développé au sujet de ce qu’il appelait le personnalisme !
De ce point de vue donc, l’anthropologie chrétienne aboutit à une utopie, au sens non pas de l’impossibilité de la réalisation de ce projet sur l’homme, mais au sens défini par Ernst Bloch dans son ouvrage, « L’esprit de l’utopie », comme ce qui n’est pas encore advenu, mais qui pourrait advenir et qui demeure une exigence, un appel au dépassement, à la résilience, pour reprendre l’expression de Boris Cyrulnik.

Pour autant, le christianisme, en tant que religion, ou plus précisément, comme système religieux, a totalement failli dans son appréhension du projet démocratique, et cela, l’histoire en témoigne dramatiquement…

6- La faillite démocratique par la religion chrétienne

Pour aller vite, on peut dire qu’à partir du IVème siècle, avec la conversion de Constantin, on aboutit avec le christianisme au Césaropapisme, c’est-à-dire à la confusion du politique et du religieux, ce que l’enseignement du Christ dénonçait lorsqu’il proclamait : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Cf. Lc 20, 25).
C’est donc le triomphe du système politico/religieux, celui-là même que l’homme Jésus avait combattu face au membres du Sanhédrin qui l’avaient, du même coup, condamné à mort sur la Croix.
Dans ce cas, la religion n’a plus alors pour but d’émanciper la personne dans le sens de la démocratie, mais de l’enfermer dans une posture de dominée, dans une société d’ordre, tant au plan politique que religieux.
C’est là que la religion devient l’anti-thèse de l’Évangile. C’est ce qui s’est vécu avec le massacre des Cathares, déclarés hérétiques, et éradiqués par le bras séculier du pouvoir politique ou bien dans les agissements de la Sainte Inquisition. Au nom de Dieu, on disposait alors de la vie (pouvoir politique) et de la vérité (pouvoir religieux). Galilée a du aussi se déjuger au 17ème siècle quand il prouvait que la terre n’était pas le centre de l’univers (pouvoir religieux sur la science). C’est de là aussi que va s’organiser le pouvoir royal absolu de droit divin (totale confusion des deux
sphères temporelle et spirituelle). Et quand ce pouvoir de la religion va commencer à être remis en cause par les peuples, on va voir alors surgir l’affirmation du dogme de l’infaillibilité du pape et de l’Église, celle-ci cherchant encore, en tant que religion, à garder un pouvoir moral sur les êtres.
Bref, la chrétienté est devenue un système d’opposition à toute idée d’émancipation et c’est bien dans cette logique qu’elle va s’opposer à tout élan de démocratie au cours du 19ème siècle en Europe, alors que le christianisme, héritier de la Réforme après les 16ème siècle, devait conduire sur un plan séculier à l’élaboration de la revendication des droits de l’Homme.
En ce sens, on comprend que la théologie chrétienne portait dans ses racines, l’émancipation de la personne humaine, ce qui rejoint la visée de la démocratie sur un plan profane. En revanche, la religion catholique, devait aboutir à placer la chrétienté du côté de ce que je qualifie de sociétés anocratiques. C’est pourquoi le lien entre le sabre et le goupillon a si bien fonctionné pendant des siècles.
C’est pourquoi enfin, on a pu mesurer la distorsion qui a souvent existé entre les paroles du Christ dans les Évangiles et la pratique de certaines églises, qu’elles soient catholiques, orthodoxes ou protestantes.
Dans ces pratiques, la religion a toujours pris le pas sur les valeurs évangéliques pour n’être qu’une institution humaine de type temporel. C’est en cela que, si la pensée évangélique a conduit à l’élaboration de l’émancipation de l’homme, les institutions religieuses ont au contraire contribué à l’asservissement de l’homme. C’est bien de cette ambiguïté dont nous devons sortir !
Pour cela, il ne faut plus confondre l’Église avec la religion, pour cela aussi, l’Église doit renouer avec les principes évangéliques fondamentaux. Ce sont eux qui sont à la base de ce que, sur un plan profane, d’autres ont bâti pour faire advenir la démocratie. Les principes fondamentaux communs au christianisme et à la démocratie.
Ces principes, nous pouvons les résumer au nombre de trois : le principe de subsidiarité, le principe de solidarité et celui du Bien Commun.
Si l’on reprend l’affirmation de Gn 1, 27, l’homme Imago Dei, (« Dieu créa l’Homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa ») ; cela revient à dire que chaque personne humaine portant en elle l’image de Dieu est déclarée unique et porte ainsi une responsabilité particulière, en assumant la pluralité (ils sont deux), en assumant aussi l’altérité (homme / femme).
L’image de Dieu se caractérise alors dans la socialité, la relation à un autre ; elle se caractérise aussi dans la différenciation (ils sont de genre autre ce qui appelle toutes les formes de différences). De là, vont découler les principes de subsidiarité, de solidarité et de Bien commun.
Parler du principe de subsidiarité revient à dénoncer des sociétés de l’assistanat, ou bien des sociétés de l’abaissement des consciences, car la subsidiarité consiste à rendre toute personne responsable de soi, et de l’autre, dans la relation. Ce qui aboutit
à s’engager dans son propre champ de compétence.
Cela rejoint la démocratie où la personne doit être sujet de sa propre vie, mais aussi sujet du devenir commun avec d’autres. Par conséquent, du point de vue chrétien, la subsidiarité signifie que le baptisé en honorant sa vocation de prêtre/prophète/roi, doit s’engager dans le monde en déployant ses propres compétences, comme l’expliquait St Paul dans 1Co 12, en parlant des charismes de chacun donnés dans l’Esprit Saint.
Quant au principe de solidarité, il s’inscrit dans la conscience que Dieu, décliné comme Père, nous fait nous découvrir comme fils et filles issus de la même source, ce qui nous place en fratrie et donc en fraternité. D’où le commandement biblique : « aime ton prochain ».
L’engagement envers l’autre décline l’amour pour le prochain, une solidarité où nous devons faire les uns pour les autres, les uns par les autres. C’est ce que l’on va cibler également au travers du principe du Bien Commun, avec une destination universelle des biens de la terre, un autre partage de la terre, une conscience d’un destin partagé.
Là, encore, par cette définition sociale de la foi, nous revenons aux fondements de la démocratie.
En cela, il s’avère incontestable que le christianisme, dans ses valeurs profondes, a suscité la démocratie, même si la religion chrétienne, à travers ses institutions, les a souvent bafouées et n’a pas toujours été au rendez-vous de l’histoire de la démocratie.
Car la croix du Christ n’est pas seulement à regarder comme un symbole de regroupement des chrétiens, c’est le signe qui rappelle à chaque chrétien la nécessité pour lui de devoir quitter l’illusion d’un dieu de la toute puissance, pour vivre le Dieu de Jésus-Christ qui déplace en rendant chacun responsable et solidaire à la fois. Ainsi, le Christ, en mourant sur la Croix, a refusé une foi religieuse qui consistait à rejeter l’étranger, une foi qui ne prenait pas en compte les exclus, une foi qui devenait un carcan moralisateur où le jugement sur le bien et le mal conduisait à mettre certains à la lisière de la société.
En un mot, la Croix de Jésus le Christ n’était pas une violence faite à lui-même, c’est une violence qu’il a assumée en la retournant contre un système religieux qu’il contestait, parce que, relevant du non respect de la personne par l’affirmation d’une idéologie de la toute puissance affublée d’une représentation sur un dieu tout puissant.
Le christianisme, en cela, ne peut se confondre avec aucun système politique quel qu’il soit. C’est pourquoi, même la démocratie demeure une société où le christianisme devra toujours constituer un pôle de questionnement sur les valeurs véhiculées.
Le christianisme interrogera toujours sur la notion de système en tant que tel, c’est-à- dire, une définition de normes de vérité qui semblent verrouiller le débat, alors que tout doit être sujet de remise en cause, en termes dévolution, si l’on s’en tient à la dynamique de la Croix qui oblige encore et encore à sortir des ornières de l’a priori.
Pour autant, la démocratie dans sa volonté de respecter les droits élémentaires de liberté, de dignité de chaque personne humaine, dans une visée de Bien Commun, correspond en partie au projet du christianisme.
Jésus le Christ, Dieu fait homme, s’est incarné dans l’exclusion de la crèche ; dans la promotion de la liberté de la personne, par l’éradication des maladies qu’il pratiquait par ses miracles, expression symbolique de l’exigence de salut pour le monde ; par le lien qu’il établissait entre l’amour pour Dieu et l’amour pour l’homme, en affirmant : « Aime ton Dieu et aime ton prochain ».

En conclusion

On peut aisément affirmer que le Christ, dans notre foi, nous place plutôt du côté des valeurs véhiculées par la Démocratie. Nous devrions en avoir et la conscience et le courage, pour affirmer que la Démocratie est l’expression profane et sécularisée de ce que l’on proclame sur un plan religieux, d’autant qu’il s’agit de valeurs largement suscitées par l’enseignement évangéliques, notamment dans les Béatitudes.
Pour autant, l’enseignement du Christ ne peut se confondre avec un discours politique quel qu’il soit, et la foi chrétienne demeure dès lors comme une épineuse question qui, toujours et encore, doit contester l’ordre établi, pour chercher dans l’Indicible, un autrement de la vie dans un dépassement.
C’est le sens de l’Exode, où la Terre Promise n’est pas un lieu, mais un état d’amour qui exige encore et encore la nécessité de quitter le pays de nos pères pour aller vers une expansion de conscience d’amour plus ouvert, plus universel, fait d’une altérité où, ni Dieu, ni l’Homme, ne peuvent se figer, au titre d’une création inachevée, non pas par un péché originel, mais par un acte d’amour d’un Créateur qui demande toujours d’être recherché, vécu et aimé dans une quête…
Cela, même la Démocratie ne peut le réaliser, c’est la fonction prophétique de l’Église de le promouvoir, non comme religion, en tant que système idéologique de croyances, mais comme Corps du Christ qui, sur la Croix, fait mourir l’ordre religieux, pour placer Dieu dans l’ordre de la conscience qui appelle l’Homme au dépassement de soi…
Mais en attendant, par la Démocratie, nous pouvons cheminer avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté dans l’agora du débat sociétal de la différence, pour déjà vivre la rencontre du prochain, tel l’arc-en-ciel apparu à Noé après le Déluge.

Je vous remercie de votre attention…

Pierre COLOMBANI

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